
C’est drôle comme on attend du monde qu’il soit absolument parfait, comme on traque la beauté dans les sinuosités les plus sombres. C’est fou ce que nous aimons la règle, l’ordre et l’exemple. Et pourtant, de vie d’homme, on ne l’a jamais croisée, cette icône que les textes ont nommé : Perfection. Difficile, en effet, d’entrechoquer cette ”vérité” au modèle d’éducation par lequel nous nous sommes formés. Si l’idéal n’existe pas, alors pourquoi se battre ? Pourquoi appréhender les formes d’apprentissages ? Décrypter le langage, apprendre à lire et à écrire ? Pourquoi dépenser sa jeunesse sur les vieux bancs des salles de classe ? Pourquoi faire des études ? Pourquoi choisir une vocation que l’on s’attellera jour après jour à rendre concrète et praticable ? Pourquoi obéir aux valeurs du travail ? A la servitude volontaire ? Pourquoi se plier aux schémas que d’autres ont édicté pour nous ? Alors, pourquoi tout ça, si la perfection n’existe pas et qu’elle est condamnée à n’être qu’une idée, de la bouffe en conserve pour les artistes et les penseurs ?
Peut-être que l’on apprend trop tard le vrai statut du monde, qu’on gagnerait à se former dans l’idée qu’on ne peut pas tout faire et que ça n’est pas grave. On pourrait encourager les jeunes générations à batailler pour leurs convictions, à faire la guerre aux conventions et définir ensemble de nouvelles perspectives. On pourrait aussi leur expliquer que l’échec fait parti du plan et qu’on accède rarement à l’itinéraire d’origine sans les banqueroutes et les déviations. L’existence c’est la route, des sentiers escarpés aux autoroutes bondées, parfois des rues douteuses, parfois des nationales proprettes. Et le But dans tout ça n’est qu’une excuse à la déambulation. C’est l’Objectif qui justifie les décennies de randonnées, les marches rapides et le bivouac, les pauses, les accélérations. L’idéal qu’on s’était fixé devient cette croix étrange sur la vieille carte aux trésors. On en a entendu parler, ça nous a diablement plu et ça allumé en nous une soif irrationnelle, quelque chose de ténu caché tout au fond des tripes. Cette croix sur la carte aux trésors, on en a fait sa quête, on a choisi de la poursuivre contre le monde et les marées. Et pourtant, rien ne prouve qu’elle existe réellement, rien ne prouve qu’elle témoigne de la position du trésor. Au fond, personne ne sait si la croix est un mythe. Et pourtant, il y aura toujours des hommes pour la chercher.
Alors, je veux crier l’ode à l’imperfection, à tout ce qui n’est pas droit, à tout ce qui n’est pas beau, aux ratés, aux rendez-vous manqués, aux boussoles gâchées, à l’effort dans l’échec, à la foi dans la désillusion, à la rage d’exister dans l’antre de la défaite, à tout ce qui nous rend un peu plus acceptable, plus humain, moins lisse, moins léché. A tout ce qui fait de nous des êtres tolérables, à ce qui nous sublime. Ecrire l’ode aux perdants, aux laissés pour compte, aux inadaptés du système, aux êtres errants qui planent sur des rêves trop grands pour eux. A ces frères je veux dire et crier mon amour, les étreindre d’une force folle et leur dire ”Rien n’est grave”. ”Nous croyions à la perfection parce que d’autres nous l’avaient appris. Battons-nous pour l’imperfection, puisqu’aujourd’hui nous l’avons choisie”.
D.A